Un immense coup de coeur pour Jean-Marc La Frenière. Son écriture me séduit, m'enchante.
UN VIOLON DE PAPIER
"Des cerises, des fleuves, des oiseaux me poussent à la gorge avec la pomme d'Adam. Il y a toute l'histoire du monde dans un seul poil de barbe, l'avenir dans un oeuf, une étoile qui meurt dans chaque grain de poussière. Je cogne à coups de mots sur un silence à mille oreilles. À vivre sans adresse, j'aurais vieilli moins vite. On ne met pas en laisse le cheval des caresses. Quand un enfant déchire son violon de papier, j'en garde quelques notes au bout de mon crayon, avec les yeux morts des poupées qu'on trahit, les vieilles pommes blessées par l'orgueil d'un ver, les billes abandonnées pour des pièces de monnaie. Il n'y a plus personne qui partage le pain. On vend même ses larmes pour une heure de gloire.
Il n'y a plus personne qui veut être un nuage, un brin d'herbe, une pluie. Plus personne ne rêve d'être un fleuve, une vigne, un lézard. On roule en tombeaux de plus en plus rapides. Il n'y a plus de gares mais des trains pour nulle part. À défaut d'espérance je compte en chantant les poils de mon chat. Les oreilles pleines de fleurs, la langue pleine d'amour, je caresse du doigt la tête chauve des mots. Les deux chiens de mes yeux font japper leurs prunelles.
Je rêve simplement d'une ronde sans fin, d'une encre blanche de lumière, d'une gravitation d'êtres comme un retour de vague. J'ai appris à parler par les caresses d'une mère, les craquements des berçantes. Je m'accroche à la vie comme des concombres s'accrochent aux cailloux pour sortir du jardin. Je guette l'absolu derrière le bruit des portes, un froissement d'ailes, un souffle de chimère, mille animaux marchant vers l'étable du coeur.
Quand je marche pieds nus mes pieds sont des oreilles. Ils écoutent la terre. Les soirs d'orage je laisse les farfadets dormir sur ma langue. La mer habille le squelette du sable avec la peau de l'eau, la peau de l'air et celle du soleil. La ligne d'horizon est une gare lointaine, une flèche de silex taillée en pointe, une glissoire sans fin pour les rêves d'enfant. Il m'arrive de parler en langue de fourmi, en pouce de bébé, en laine ou en galet. Il m'arrive de dormir en boule de neige ou en cuillère. Nos yeux se touchent dans les choses qu'ils voient. Les pains se parlent d'une bouche à l'autre. Le vide parfois sert de passerelle au plein.
Quand les mots retournent au silence, ils se cognent aux meubles et renversent les verres. Les bouts de phrase sont des gestes en suspens, des baisers qu'on retient. Les bouts de phrase cherchent la main qui manque. Ils poussent le regard au-delà de nous-mêmes. L'encre sur la page se répand dans la tête et pousse sur la vie. Ce n'est pas la distance qui sépare les hommes, c'est le centre qui manque. Je questionne la mort pour que la vie réponde.
L'enfant quand il dessine retient le soleil à deux mains pour ne pas qu'il s'efface. Il tient le cerf-volant pour ne pas qu'il s'envole. Quand j'écris je m'accroche à l'espoir. Je suis comme le trèfle cherchant la chance même en hiver, les petites feuilles frileuses faisant signe au soleil. Quand le soleil tombe, quand la lune se tait, quand les nuages boudent, quand le silence de le neige enlève son bâillon et les montagnes descendent, apportez vos gazous, vos timbales, un violon de papier, du hautbois, du basson, apportez vos couleurs et vos rebecs d'oiseaux, la musique parfois tient le décor debout."
Jean-Marc LaFrenière
« J’ai trois épouvantails dans mon jardin, dont l’un à bicyclette. Je le soupçonne de pédaler jusqu’au village durant la nuit. Il a toujours des brins de paille en sueur et le chapeau de travers. En fait, ils aiment les oiseaux et ouvrent même la porte aux ratons laveurs. Sur le rang, mon jardin est le plus pauvre en légumes mais le plus riche en mots.
Plus loin, j’ai un étang plein de grenouilles, de nénuphars, de carpes japonaises et de cheveux de fée. Quelques canards et un héron s’y posent quelques fois. Il sert aussi de patinoire aux libellules du coin. Au premier flot du matin, la rosée me réveille et me sert le café sur le comptoir des yeux.
Le murmure des gnomes sous la galerie me sert de radio quand je me sens trop seul.
Le murmure des gnomes sous la galerie me sert de radio quand je me sens trop seul.
Entre le vent et le flanc des montagnes, il n’y a pas de murs mais des passages, des accalmies, des souffles. Les regards portent trop loin pour s’encombrer de choses. Il n’y a que mon loup qui collectionne les objets, les vieilles bottes à vache, les balles trop mordues, les os trop secs, les peines de croc, les cœurs cassés, la babiche des raquettes qu’il finit par manger. Elle lui sert probablement de brosse à dents. Sur tant d’espace nettoyé, je me repose dans mon songe. On y lave ses yeux, on danse sur des rivières infranchissables. J’habite la lumière où mes mots font un bruit de chevaux emballés.
De l’herbe pousse dans mes oreilles, de la luzerne dans mon nez. J’ai sur la tête un chapeau d’absolu percé par la misère, le bonheur et le temps.Je compte les secondes en fragments d’infini. J’ai des lucioles dans les yeux, l’odeur des chevreuils sur le cuir des mots, de l’eau d’érable dans les veines. Je goûte la framboise au milieu du mois d’août, les cerises noires amères que picossent les pies, le cœur de pomme et le cormier quand arrive l’automne. Je suis une roche qui a pris la parole, un arbre qui se tait dans le chant des oiseaux, une rivière qui déborde sous la crue des saisons, une épine, une ronce en quête de tendresse. »
Parce que
Jean-Marc La Frenière
ISBN-13 : 978-2-84954-054-1EAN : 9782849540541
12 €
Superbe texte offert par Victor Varjac sur http://www.francopolis.net/revues/LafreniereJM-fevrier08.html
Superbe texte offert par Victor Varjac sur http://www.francopolis.net/revues/LafreniereJM-fevrier08.html
et :
UN VIOLON DE PAPIER
"Des cerises, des fleuves, des oiseaux me poussent à la gorge avec la pomme d'Adam. Il y a toute l'histoire du monde dans un seul poil de barbe, l'avenir dans un oeuf, une étoile qui meurt dans chaque grain de poussière. Je cogne à coups de mots sur un silence à mille oreilles. À vivre sans adresse, j'aurais vieilli moins vite. On ne met pas en laisse le cheval des caresses. Quand un enfant déchire son violon de papier, j'en garde quelques notes au bout de mon crayon, avec les yeux morts des poupées qu'on trahit, les vieilles pommes blessées par l'orgueil d'un ver, les billes abandonnées pour des pièces de monnaie. Il n'y a plus personne qui partage le pain. On vend même ses larmes pour une heure de gloire.
Il n'y a plus personne qui veut être un nuage, un brin d'herbe, une pluie. Plus personne ne rêve d'être un fleuve, une vigne, un lézard. On roule en tombeaux de plus en plus rapides. Il n'y a plus de gares mais des trains pour nulle part. À défaut d'espérance je compte en chantant les poils de mon chat. Les oreilles pleines de fleurs, la langue pleine d'amour, je caresse du doigt la tête chauve des mots. Les deux chiens de mes yeux font japper leurs prunelles.
Je rêve simplement d'une ronde sans fin, d'une encre blanche de lumière, d'une gravitation d'êtres comme un retour de vague. J'ai appris à parler par les caresses d'une mère, les craquements des berçantes. Je m'accroche à la vie comme des concombres s'accrochent aux cailloux pour sortir du jardin. Je guette l'absolu derrière le bruit des portes, un froissement d'ailes, un souffle de chimère, mille animaux marchant vers l'étable du coeur.
Quand je marche pieds nus mes pieds sont des oreilles. Ils écoutent la terre. Les soirs d'orage je laisse les farfadets dormir sur ma langue. La mer habille le squelette du sable avec la peau de l'eau, la peau de l'air et celle du soleil. La ligne d'horizon est une gare lointaine, une flèche de silex taillée en pointe, une glissoire sans fin pour les rêves d'enfant. Il m'arrive de parler en langue de fourmi, en pouce de bébé, en laine ou en galet. Il m'arrive de dormir en boule de neige ou en cuillère. Nos yeux se touchent dans les choses qu'ils voient. Les pains se parlent d'une bouche à l'autre. Le vide parfois sert de passerelle au plein.
Quand les mots retournent au silence, ils se cognent aux meubles et renversent les verres. Les bouts de phrase sont des gestes en suspens, des baisers qu'on retient. Les bouts de phrase cherchent la main qui manque. Ils poussent le regard au-delà de nous-mêmes. L'encre sur la page se répand dans la tête et pousse sur la vie. Ce n'est pas la distance qui sépare les hommes, c'est le centre qui manque. Je questionne la mort pour que la vie réponde.
L'enfant quand il dessine retient le soleil à deux mains pour ne pas qu'il s'efface. Il tient le cerf-volant pour ne pas qu'il s'envole. Quand j'écris je m'accroche à l'espoir. Je suis comme le trèfle cherchant la chance même en hiver, les petites feuilles frileuses faisant signe au soleil. Quand le soleil tombe, quand la lune se tait, quand les nuages boudent, quand le silence de le neige enlève son bâillon et les montagnes descendent, apportez vos gazous, vos timbales, un violon de papier, du hautbois, du basson, apportez vos couleurs et vos rebecs d'oiseaux, la musique parfois tient le décor debout."
Jean-Marc LaFrenière
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