"J'achève de lire un roman ingénieux. Une histoire impossible, mais contée avec tant d'à-propos, de couleur, de naturel, qu'on la croirait vraie. Le tout est prenant. Faux néanmoins, cruel, mais faux comme l'amour et cruel comme la vie. Ces écrivains savent nous faire souffrir! Avec quoi? Rien, la plupart du temps. S'ils nous émeuvent, c'est à cause de nous. Ils exploitent la douleur et l'amertume qui sont en l'homme. Ce n'est pas tant leurs personnages que nous-mêmes qui nous intéressent. Par un effet du subconscient, c'est notre image que nous cherchons dans les œuvres. L'homme qui porte une grande peine,— comme une femme un enfant,— est triste jusqu'à la mort devant certains livres. Il y a reconnu son visage. Non pas son visage de chair, mais l'âme de son âme, ce qui vit en lui de plus caché, de plus secret.
Je n'ai rien d'un psychologue, ni ne me pique d'une clairvoyance particulière. J'ai les yeux ouverts, c'est tout. Il se peut que je me trompe, mais j'ai cru reconnaître que les gens matériellement heureux n'ont pas de temps à perdre aux livres. Ils ont d'autres soucis. Leurs appétits les occupent, et leur suffisent. Satisfaits d'eux-mêmes, ils ne s'attardent pas à penser. La faculté de souffrir, rançon de l'intelligence, n'existe chez eux qu'à fleur de peau. Ils se laissent vivre. Peu compliqués, ils acceptent les choses telles qu'elles sont, sans souhaiter ce qu'elles ne peuvent donner. En somme, ils ont raison. Que sert à l'homme de gagner l'univers?
Pourquoi ces lignes? Je ne sais. Il y avait du papier, sous ma main, et je me suis mis à écrire. Cette habitude de noter mes impressions, en marge d'une lecture! Elle m'a joué de mauvais tours dans ma jeunesse. Passons. Je reviens au roman qui m'a bouleversé, et que je reprendrai demain, pour me faire un peu plus de mal. Je puis bien dire, puisque je déchirerai ces pages, que ce livre me réfléchit comme un miroir. A des variantes près, il dévoile le secret de mon existence. Chaque ligne s'est enfoncée en moi comme un fer dans une plaie. Je me sentais accablé, sans même avoir le courage de pleurer. Le livre me jetait à la face la mélancolie, la dureté de tant d'années perdues. Perdues par ma faute. Au fait, je me demande si je dois détruire ces notes? Elles me donnent l'idée de raconter ce que jamais je n'ai révélé à personne, et qui explique le non-sens, l'inutilité de ma vie. Un homme du métier y trouverait les éléments d'un drame qu'il lui suffirait de lier ensemble. Je les lui donne. Puisse l'œuvre qu'il en tirera ne pas tomber sous les yeux de celle-là qui vit toujours, vieillie comme je le suis moi-même, et qui n'a pas compris."
Harry Bernard, Dolorès, Montréal, Albert Lévesque, 1932, 223 pages.
Texte trouvé sur http://laurentiana.blogspot.com/2008/02/dolors.html
Permettez-moi d'ajouter mon grain de sel souriant: en lisant les lignes " Il se peut que je me trompe, mais j'ai cru reconnaître que les gens matériellement heureux n'ont pas de temps à perdre aux livres. Ils ont d'autres soucis. Leurs appétits les occupent, et leur suffisent. Satisfaits d'eux-mêmes, ils ne s'attardent pas à penser. ..", je songeais à NS et à ses déclarations sur la lecture de la Princesse de Clèves...C'est tout :-)
http://www.liberation.fr/tribune/010166942-la-princesse-de-cleves-au-karcher
vendredi 15 mai 2009
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Humeur du jour
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