lundi 2 juillet 2012

Edouard Boubat


« Fermez les yeux »

« Fermez les yeux, imaginez un chat. Imaginez une présence noire et douce, une certaine qualité de silence, de ruse, de somnolence. Sur cette présence faussement endormie, plantez deux yeux, des yeux clairs, purs, limpides. Des yeux d'ange si vous voulez. Les anges sont aussi malicieux que les chats - et comme eux, ils passent un temps considérable à dormir.

Vous y êtes, vous l'avez ? Un chat noir velours avec des yeux d'ange. Bien. Nous pouvons continuer. A présent, reculez d'un pas ou deux. Trois, quatre mètres ce serait bien. Ne regardez plus le chat. Ne faites pas attention aux moustaches de l'ange. Il faut que ces deux-là - le chat et l'ange - ne se doutent de rien. Maintenant, très vite, vous ouvrez la fenêtre et vous laissez venir. Le plus important dans cette phrase, ce n'est pas le mot "fenêtre", c'est le mot "ouvrir". A partir du moment où vous faites le geste d'ouvrir, tout arrive. J'oubliais : avant la fenêtre, avant même d'imaginer le chat, il fallait ouvrir son coeur - sinon il ne se passera rien, sinon le chat ne viendra même pas vous faire l'honneur de paresser chez vous.

Donc, après ouverture, tout arrive. Dans ce tout, on peut citer des jeunes femmes du Brésil et d'ailleurs, des bonshommes de neige sans domicile fixe, des enfants de Paris et de Chine, des poules du Népal et de Corrèze, des chapeaux, des pains de campagne, des giboulées, des fleurs. Mais on n'en finirait pas de citer .

Tout ce qui arrive rentre dans la pièce, va et vient. Regardez bien : l'ange ouvre un oeil, soulève une paupière. Le chat lève la tête. En un coup de patte il prend tout ça, enfants, femmes, bonshommes de neige, chapeaux, pains, poules, ombres, lumières - il prend sans prendre.


Et maintenant il s'en vont, les deux, le chat et l'ange. Ils portent une petite valise de carton, noire. Sur la valise, une étiquette : "Boubat, Edouard, invisibles en tous genres". Dans la valise, un appareil photo. Voilà. Vous pouvez ouvrir les yeux : tout le monde a disparu. Demeurent les images ».

Ecrit par Christian Bobin pour l'exposition « EDOUARD BOUBAT, PHOTOGRAPHIES»



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Et un gros MERCI !!!!

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