L’enfance de l’homme fait ses dents sur tout ce qui existe. Le passage d’un insecte peut transformer les mots. Un coccinelle traverse entre les lignes, s’attarde sur la page avant de s’envoler. Je suis déjà ailleurs, quelque part dans l’âme, un point sur l’horizon. Un arbre grimpe vers la lumière. Il faudrait apprendre son langage de sève, lui faire des oiseaux, dessiner le feuillage avec la chlorophylle des mots. La vie nous appartient si peu. La mort ne nous acquitte jamais. Rien n’est jamais acquis. Les mots s’écrivent à mon insu comme la peau qui vieillit. La santé du malheur ne guérit pas du temps. La vie s’entête dans un frôlement de feuille, un battement d’aile, un rictus, un sourire, la chaleur du sang faisant battre l’aorte, un souffle dans la voix. On ne cesse de courir vers ce qui n’a pas eu lieu ou qui ne sera pas. Un fleuve tout entier s’empare d’une goutte. On cherche une bouée, une main, une étreinte.
J’avance, un sac sur l’épaule et du vent dans les mains. Je ne sais où je vais. Quand j’interroge les étoiles, je n’attends pas de réponse. Je rends grâce à la vie. Chaque image contient d’autres images invisibles. Elles nous permettent de voir. Je ne veux pas d’un chemin. Je m’égare pour ne pas me perdre. Je questionne la mort pour demeurer vivant. Je m’éclaire la nuit au petit bois des mots. Chaque phrase est comme un feu soudain. L’éternité nous frôle. J’en cherche la présence dans le moindre détail, un brin d’herbe, une soupe, une aile de mésange. Des frères aux mains vides nous apportent le pain. L’enfance confère à l’homme le devoir d’aimer. Une ortie sur la page illumine les mots. L’âme glisse au fond du corps pour redresser l’échine. Elle se tient debout au milieu de la chair.
Tournant les pages dans la maison d’un livre, je passe d’une pièce à l’autre. J’ouvre des portes. Je mets la table pour le cœur, refait les draps pour le rêve. Je monte l’escalier qui ne finit jamais. Trop de départs différés définissent la route. Tout est possible en imagination. Une image mentale fait d’un simple poireau une aquarelle anglaise ou une gouache de Klee. Je vais avec l’abeille dîner dans les jardins, visiter la mer au bras du fleuve, tracer avec l’oiseau des lignes dans le ciel, souffler avec le vent sur les nuages et leurs paquets de linge humide qu’on s’apprête à rentrer. Je refais la route entre le sang des crucifères et la détresse des abeilles. Chaque jour, des espèces disparaissent. Je ne me résigne pas à la mort des elfes, pas plus qu’à celle des baleines. J’écris au ras du sol comme un rhizome étirant ses doigts dans la terre des mots. J’écris à fleur de peau comme le verbe du vent conjuguant les corolles. Je m’éveille avec l’aube lorsque la vie retient son souffle et s’apprête à rugir."
Je vous offre les merveilleux mots du ciseleur Jean Marc La Freniere. Je ressens la même émotion profonde à chacune des découvertes de ses mots. Merci Monsieur
Peu de gens le connaissent, c'est un orfèvre des émotions et un désespéré qui redonne parfois, l'espoir.
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